lundi 13 février 2017

De l'Âme ... du jardinet...

A Paris, ma fenêtre donne sur un jardinet adossé au parc voisin dont la frondaison est majestueuse. Ce jardinet a pour âme un tilleul. Grâce à la pluie abondante au printemps, l'arbre atteint, quand vient l'été, une forme de plénitude inouïe. Les amis qui passent chez moi, invariablement, poussent un "Oh!" d'émerveillement, et surtout d'étonnement. Comment cela est-il possible? Comment se fait-il que la terre, qui venait du Chaos, ait généré un arbre comme celui-là, en son ovale parfait composé d'innombrables branches, rameaux, feuilles et fleurs dont le foisonnement et le frissonnement, loin de se répandre en désordre, obéissent à un constant souci d'entente et d'harmonie, faisant de lui une figure emblématique de beauté? Comment ce tronc droit, apparemment modeste, a-t-il pu porter, calme et confiant, cette magnifique corolle de feuillage, pleine de noblesse, d'une gloire presque trop écrasante pour lui? Il a fallu qu'à partir de lui, chaque branche croisse et respire selon sa poussée interne, tout en ayant souci d'orienter sa courbe vers un centre, dont la force centripète assure à chaque instant à l'ensemble des branches une juste répartition d'air, de lumière et de sève. Une présence organique, faite de frémissante interaction, s'affirme là. Pour peu que passe une brise, la voilà qui entre dans sa rythmique, opérant une sûre brisure dans l'espace, un Ouvert où le fini et l'infini sont en perpétuelles épousailles. Une volonté la soutient, cette présence, une intention l'habite. Fontaine au jaillissement continu, elle n'est plus que donation et accueil. Elle distribue sans réserve ombres parfumées et éclats nourriciers à ceux que ses ondes attirent, oiseaux migrateurs, errants humains.


Le lien entre l'arbre et les oiseaux semble naturel. Mais l'alliance de l'arbre avec les hommes est-elle assez prise en compte par nous? Sommes-nous conscients que nous ne pouvons trouver dans la nature compagnon plus fiable et plus durable? Cet être debout comme nous, qui depuis les profondeurs du sol tend résolument vers le haut, nous rappelle que notre être tient tout autant de la terre que du ciel. Prenant appui sur sa base de lave, d'humus ou de limon, il s'épanouit en un véritable entonnoir pour boire la pluie tombée du ciel, et venu de plus haut encore, pour boire le souffle lumineux dont tout l'univers est animé. Il arrive qu'au cœur du désert, ou à l'horizon d'une plaine, se dresse un arbre seul. Cela suffit aux nomades que nous sommes pour que nous ne nous sentions plus seuls, pour que la création ne nous semble plus vaine. A nouveau nous assaillent des questions apparemment sans réponse mais qui, posées, pourraient être autant de réponses. Pourquoi cette terre, considérée par beaucoup comme aveugle, inconsciente et sans direction aucune, a-t-elle abouti à une chose aussi parfaite qu'un arbre? Plus généralement, pourquoi l'anonyme immensité a-t-elle engendré chaque être, aussi minime soit-il, en son irréductible unicité. Pourquoi sommes-nous là, jouissant du privilège de voir ces choses et de nous en émouvoir, tout en sachant que nous ne venons pas de nous-même? Pourquoi tant et tant de présences palpitant de vouloir-vivre? Pourquoi tant et tant de signes vibrant d'appels et de sens? Dans la vallée qui a sombré dans le silence, un oiseau chante, et voilà que nous sommes envahis d'une indicible nostalgie. Sur le haut mont dénudé par le vent, une fleur sauvage nous salue, et voilà que nous tombons à genoux de reconnaissance. Ici, notre âme nous invite à consentir au mystère. Nous qui voyons de l'univers la part visible et qui en faisons partie, sommes-nous vus? Si le voir n'était pas précisément à l'origine, serions-nous capables de voir?



Oui, nous devons être assez humbles pour reconnaître que tout, le visible et l'invisible, est vu et su par Quelqu'un qui n'est pas en face, mais à la source. Seul celui qui jouit du voir total jouit du vrai savoir et du vrai pouvoir. C'est grâce à cela que l'univers vivant est en devenir, et que nous le sommes aussi. Un chant surgi de ma mémoire me vient aux lèvre, je vous le dédie:

Un iris
Et tout le créé justifié.
Un regard
Et justifiée toute la vie.


Votre dévoué

François Cheng
Extrait de son livre "De l'Âme"

J'ai adoré ce livre, je vous en propose un extrait choisi...

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