dimanche 19 octobre 2014

Des chemins ouverts...

Des quatre femmes assises dans le couloir, j'en embrasse ce jour-là trois et me contente de serrer la main de la quatrième dont le visage, déformé par la maladie m'inspire un secret dégoût et me dissuade de le toucher, même dans l'effleurement d'un baiser. Elle le devine et m'interpelle: "Et alors, on ne m'embrasse pas aujourd'hui?". Je la prends dans mes bras et l'embrasse en riant pour cette leçon magnifiquement donnée et les chemins ouverts en une seconde de moi à elle.

Mon père, lui, n'a plus ce souci des apparences. Plusieurs fois je l'ai vu se pencher comme un adolescent devant des malades particulièrement disgraciés et leur dire: "vous avez un merveilleux visage, je ne vous oublierai jamais." Cette scène à chaque fois me bouleverse comme si l'infirmité pendant un instant n'était plus dans le camp de mon père mais dans le mien.

La vieille femme qui parle très fort dans le couloir m'appelle du prénom de son fils, Basile. Quand je lui dis que je ne suis pas son fils et que mon prénom est Christian, elle balaie mon objection d'un revers de la main, comme pour dire: je le sais mais cela n'a aucune importance, tu es bien mon fils puisque je me réjouis de te voir, on ne va quand même pas s'arrêter à ces détails.


C. Bobin - La présence pure (mon livre préféré - de mon auteur préféré!)


2 commentaires:

  1. Superbe, c'est comme cela qu'il faut accueillir le sens corporel, quel qu'il soit.

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  2. Merci ma soeur... le coeur est tout retourné..
    "L'art de la conversation est le plus grand art.
    Ceux qui aiment briller n'y entendent rien. Parler vraiment, c'est aimer, et aimer vraiment, ce n'est pas briller, c'est brûler" C.B.
    Ahhh j'ai encore écrit une lettre à CB aujourd'hui, mais je ne l'ai pas envoyée.. depuis Istanbul.Peut-être partira-t-elle depuis la France...
    Bises tendres amie...

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