jeudi 8 septembre 2016

"Tendu vers" ou détendu par Gilles Farcet


L'un des fondements essentiels d'une bonne hygiène intérieure repose sur un simple exercice consistant à détendre ce qui est inutilement tendu. Inutilement tendu, nous le sommes, en effet, et beaucoup plus que nous n'en avons généralement conscience. Je ne parle même pas du stress ordinaire et de toutes les tensions physiques et psychiques auxquelles nous nous trouvons couramment soumis, mais d'une tension d'autant plus insidieuse qu'elle nous paraît normale, si bien que nous ne la remarquons pas ou à peine.

Un peu d'observation de nous-même lors d'une journée ordinaire va nous faire sauter aux yeux cette évidence! "je suis tendu vers", constamment tendu vers... Vers quoi au
juste?

Vers tout à l'heure, vers le moment suivant, vers la fin de l'action en cours, même anodine. Un exemple? Je fais la queue à la caisse d'un magasin où je viens de faire mes courses. Il me suffit de regarder honnêtement ma posture intérieure pour constater que je suis bel et bien "tendu vers": tendu vers le moment où, enfin ce sera mon tour, où je pourrai régler mes courses et passer à la suite de ma journée. Je ne me tiens pas là détendu, ouvert, disponible, je ne profite pas de ce moment où je n'ai rien de particulier à faire pour respirer, me mettre dans mon axe, regarder autour de moi... Je suis intérieurement arc-bouté vers tout à l'heure, comme si mon être intérieur était pour ainsi dire en avant, décalé par rapport à l'instant.

En fait, je considère automatiquement qu'il m'est impossible d'être simplement en paix, ici et maintenant.

Quand je serai à la caisse, quand ce sera mon tour, quand j'aurai réglé mes courses, alors je pourrai être en paix, enfin! Sauf qu'alors je serai de nouveau tendu vers... Ma destination, la suite de ma journée, etc...

Autre exemple quotidien, j'attends le métro, le train, le bus, que le feu piéton passe au vert... Là encore, je suis tendu vers. Plutôt que de profiter de ce moment d'"entre-deux" pour goûter l'instant, je piaffe "en attendant" le moment où, enfin, le métro arrivera, où, enfin, je monterai dans le bus, où enfin, je traverserai.

La paix et la détente sont toujours pour tout à l'heure, plus tard, dans un instant, telle une carotte reculant sans cesse devant la bouche de l'âne.

Ces petits exemples peuvent paraître anodins. De fait, ils le sont. Et pourtant, quelle dépense d'énergie inutile, quelle mobilisation en pure perte, quel dommage de ne pas s'accorder tout au long de la journée des moment pour simplement respirer, s'ouvrir à la vie et revenir à soi-même.

Une journée ordinaire, y compris celle où nous sommes convaincu d'être très occupé, est parsemée de ces moments "inutiles", "moments perdus" où, en vérité, je n'ai rien d'autre à faire et ne peux rien faire d'autre qu'être là où je suis : moments d'attente, de déplacement d'un point à un autre.

Le simple exercice consistant à prendre appui sur ces moments pour expirer, se détendre, se mettre pour ainsi dire à la verticale de soi-même, ce simple exercice peut considérablement modifier le climat de nos journées. Alors, pourquoi ne pas le tenter?

(article dans le magazine Kaizen - juillet:août 2016)


mercredi 7 septembre 2016

Révélation


"Au lieu de m'être dit:
je suis triste, je suis désespéré, parce que j'ai le cancer,
je me suis dit: 
j'étais triste et désespéré et le cancer est venu me le dire"

Guy Corneau

samedi 3 septembre 2016


« Quand la mort s’arrête, la vie explose »


Aujourd’hui, j’ai accompagné une amie - qui me suit depuis mon arrivée en France en 2014 - à faire face à une nouvelle terrible… celle de la possibilité de sa mort.

En effet, ayant appris l’existence de deux tumeurs et se faisant opérer d’urgence, la vie ne lui laisse aucun échappatoire quant à avoir à faire face à l’inévitabilité de ce qui nous attend tous, la mort.

Bien qu’elle souhaiterait que ce ne soit pas là, que la mort n’aie pas raison d’elle maintenant, que ce qui se passe ne se passe pas… nulle ne sait, et cette possibilité est ce qui est. Pour nous tous! Pour elle, c’est juste devenu quelque chose qu’elle ne peut éviter, sa réalité du moment.

Et face à cela, face à cette nouvelle, cette si soudaine possibilité, aucune technique, aucune pratique, aucun concept spirituel, aucune analyse psy, ni aucun guérisseur ou guru ne fait le poids. Rien de tout cela ne peut vous sauver! Il n’y a que faire face à cette terrible nouvelle et ce qu’elle fait émerger en soi… pas à fuir dans toutes ces choses. Bien-sûr la tentation est grande, car il y a un désir urgent de vivre, mais quand l’inévitable frappe à la porte… nous ne pouvons que le rencontrer, le vivre de plein fouet.

Evidemment, un désir urgent de vivre, plus fort que jamais, va certainement émerger. Car dans cette fin de tout avenir, quelque chose en soi veut subsister, aller vers la vie, un nouveau projet, quelque chose qu'on n'a jamais fait, imaginer encore... surtout ne pas faire face à la mort, à l’annonce de la maladie, à la fin de tout avenir dans cet instant. On veut éviter de voir ce qui pourrait arriver… Mais ne vivons-nous pas déjà nos vies comme ça depuis toujours…? Comme si nous n’allions jamais mourir… dans un déni de l’inévitable, dans un « oubli » volontaire de notre condition, nous projetant donc sans cesse dans un ailleurs, un futur qui serait mieux, qui offrirait quelque chose qui n'est pas là maintenant. Et de ce fait, nous vivons dans une peur et un état de survie permanent, caché sous tout ce qui se joue dans le quotidien, une angoisse latente qui guette…

Plutôt que de voir toutes les choses à accomplir, chercher le sens de ce qui se passe, remontrer dans sa lignée ou ses vies antérieures pour expliquer ce qui se passe, plutôt que de spiritualiser quoi que ce soit, je l’ai juste accompagnée à sentir ce qu’elle n’osait pas sentir seule, à être vraie et honnête avec ce qu’elle ressent, à parler d’elle au lieu de l’ego, à rencontrer ce qui émerge au lieu de positiver un résultat potentiel mais non certain, à ressentir toutes ses émotions plutôt que de me parler d’identification…

Car oui… c’est bien de cela dont je parle les amis quand je dis « cessons d’être spirituels, soyons vrais! »

La mort va tout nous prendre, même les concepts spirituels, même la nourriture bio, même tous les petits bonheurs quotidiens, les plus belles relations, comme les pires et tout comme la souffrance…
En effet, elle ne va rien laisser de tout cela… mais alors qu’est-ce qui reste quand tout s’arrête?

Et si vous n’attendiez pas d’être confronté à ce genre de nouvelle pour le découvrir? Et si vous lâchiez tout pour un instant pour le sentir, le vivre? Et si vous viviez juste chaque moment tel qu’il se présente, sans chercher à en faire une quête de l’au-delà pour ne pas faire face à ce qui est dans l’instant, ne pas laisser partir tous vos idéaux, pour vous échapper de votre réalité du moment?
Et si, ici, dans cet émoi, vous deveniez intime avec ce qui est, quoi que ce soit.., Que se passe-t-il?

Il n’y a pas d’erreur dans le plan divin! Tout est toujours une opportunité de SE rencontrer…

Qu’est-ce qui est là, maintenant, qui n’est jamais né et ne mourra jamais?

Tout ce qui restait à la fin de notre appel, c’était de la douceur, la vie… c’était l’amour, si fort et si puissant, si vibrant, si flambant, sans objet… juste l’amour pour l’amour… et les larmes coulaient de joie… de vivre juste ça…

Armelle 
 



  


    


  

Confiance par Christian Bobin

Au mot foi, je préfère celui de confiance. Il semble plus anodin. La confiance, c'est la posture du pêcheur à la ligne, en attente, assis sur un talus. Le bien, l'inespéré, on ne sais pas comment les faire venir dans nos vies, et heureusement. On ne trouvera jamais de méthode pour cela. Je crois d'ailleurs que ce serait une erreur d'utiliser des spiritualités, des techniques orientales ou autres pour y parvenir. Mais la confiance ouvre les fenêtres de la maison.  Une confiance de fond qui est là, même quand je crois l'avoir perdue. C'est donc comme si rien ne pouvait durablement m'enlever le cœur. Il y a des choses tragiques et épuisantes, mais si je continue, avec parfois la poitrine trouée, tôt ou tard un rosier vient à l'intérieur. C'est une expérience que j'ai faite mille fois: rien n'est noué qui ne puisse être dénoué. Je le crois d'autant plus que c'est souvent nous-mêmes avec notre intelligence confondante qui avons fait des nœuds à nos lacets de chaussures. Mais, comme une mère bienveillante, la vie revient et elle a des doigts si fins qu'elle sait défaire les nœuds les plus serrés. Je pourrai dire tout simplement que l'on n'est jamais abandonné. En dire plus serait commencer à construire du solide avec ce qui doit rester fragile, à changer la cabane de jardin en château, ce qui serait stupide, parce que la cabane a un immense avantage: elle est faite de planches mal jointes et donc l'air continue à y passer. Cet air qui vient tout bousculer, même ce que je dis et ce que je crois.

Extrait d'un entretien dans le magazine Psychologies d'avril 2008



Cabane et tilleul à balançoires dans notre jardin de Dieulefit